L’église Saint-Eustache (1532-1778)
Impasse Saint-Eustache
Vue aérienne de l’église Saint-Eustache
L’église Saint-Eustache remplace une petite chapelle médiévale de la rue de Montmartre, dédiée à sainte Agnès. Consacrée église paroissiale en 1303 et plusieurs fois agrandie jusqu’au XVe siècle, ce modeste édifice n’était plus en mesure d’accueillir la population du prospère quartier des Halles qui se développait alors considérablement. En 1532, le prévôt des marchands Jean de La Barre posa par conséquent la première pierre d’une nouvelle église, dédiée à saint Eustache.
Le chantier débuta aussitôt mais progressa très lentement : en 1545, l’édifice s’élevait jusqu’aux fenêtres hautes du transept, alors que la construction de la nef s’engageait à peine. En 1586, on posa une couverture provisoire sur la nef. En 1624, la façade occidentale fut enfin élevée, mais jamais entièrement aboutie. Les fenêtres hautes et les voûtes de la nef et du transept ne furent achevées qu’en 1637.
La façade occidentale de l’église Saint-Eustache (1754-1778)
L’histoire de l’église Saint-Eustache connut bien d’autres vicissitudes. On dut remplacer la façade occidentale, que la construction de deux chapelles commandées en 1665 par Jean-Baptiste Colbert avait dangereusement fragilisée. L’architecte Louis Le Vau soumit un projet qui ne fut jamais réalisé, malgré le financement promis par Colbert. Ce fut seulement au milieu du XVIIIe siècle qu’une nouvelle façade fut édifiée, d’après les dessins de Jean-Baptiste Mansart de Jouy. Pour mener à bien son projet, l’architecte sacrifia la première travée de la nef, entraînant la destruction des chapelles aménagées à la demande de Colbert.
Engagé en 1754, le chantier n’avança guère. En 1772, Pierre-Louis Moreau-Desproux reprit la direction des travaux, sans aboutir le dessein de son prédécesseur. Comme la première façade du XVIIe siècle, jamais terminée, la construction de la nouvelle façade s’interrompit avant l’achèvement de la tour sud.
Cette nouvelle façade entièrement classique tranche avec le style « Renaissance » de l’architecture intérieure. La partie centrale est occupée par un puissant avant-corps couronné d’un fronton. Formant une sorte de portique au rez-de-chaussée, les colonnes toscanes de l’avant-corps soutiennent une frise qui court sur toute la largeur de la façade et réunit plus harmonieusement la partie centrale de la façade, les ouvertures latérales et le massif de quatre colonnes jumelées bordant chaque extrémité.
L’élévation de la façade occidentale de l’église Saint-Eustache
La frise du rez-de-chaussée est ornée de métopes et de triglyphes sous une corniche dont les larges modillons correspondent à chaque triglyphe. Les colonnes à chapiteau composite de l’étage soutiennent une frise dépourvue d’ornements sous une corniche dont les modillons et les soffites sont ornés de palmettes et de petites fleurs.
Le cadran solaire ornant le tympan de la façade méridionale de l’église Saint-Eustache
Le tympan de la façade méridionale porte un cadran solaire légèrement déclinant, qui entoure la rosace du tympan. Le style du cadran, planté un peu en dessous du centre de la rosace, est au point de convergence de toutes les lignes horaires, qui sont peintes sur la pierre, pour les heures et les demi-heures.
A son sommet, un cerf crucifère renvoie au nom de l’église, en référence à la conversion miraculeuse du général grec Placidas. Un cerf que poursuivait Placidas lui était apparu avec un crucifix dans ses bois. Ayant reçu de Dieu le pouvoir de parler en son nom, il se nomma « Christ » et prétendit être venu, sous cette forme, sauver tous les idolâtres. Reconnaissant le vrai Dieu, Placidas se convertit avec sa femme et ses deux fils, se fit baptiser et reçut le nom d’«Eustathe» (Eustache).
La nef
L’église Saint-Eustache reprend, comme à Saint-Merry, le plan en forme de croix latine de Notre-Dame, avec un transept peu saillant. De même qu’à Notre-Dame, la nef est ceinte de doubles collatéraux et le chœur, d’un double déambulatoire. Les doubles collatéraux s’ouvrent sur les chapelles latérales et le double déambulatoire mène à la chapelle axiale, située derrière le chœur et dédiée à la Vierge. Dotée d’une nef dont la largeur et la hauteur sous voûte sont exceptionnelles, de collatéraux élevés et de piliers très élancés, Saint-Eustache frappe, au premier coup d’œil, par sa monumentalité.
La voûte flamboyante
Les nervures de la voûte flamboyante, composée d’ogives, de liernes et de tiercerons, retombent sur les colonnes qui relient le triforium aux fenêtres hautes de la nef. Une clé principale se forme à la rencontre des ogives de la voûte et plusieurs clés secondaires naissent à la jonction des liernes et des tiercerons.
Les nervures de la voûte forment par ailleurs une étoile à la croisée du transept et du chœur et se rejoignent à l’emplacement d’une remarquable clé pendante sculptée de feuillages et de têtes d’ange. Des clés secondaires complètent également le dispositif décoratif.
Au terme d’une période au cours de laquelle les rois de France avaient accordé leur préférence au le Val de Loire, l’église Saint-Eustache de Paris associa la monarchie à la capitale. François Ier, qui venait de prendre la décision d’établir à nouveau sa résidence principale à Paris, donna en effet une impulsion décisive au chantier de cette nouvelle église.
Saint-Eustache se mesura aux grands édifices religieux du passé -en particulier, à la cathédrale Notre-Dame, dont elle s’inspire par de nombreux aspects-, tout en assimilant le style nouveau de la Renaissance auquel s’identifiait le souverain, grand amateur d’art italien.
Un bras de lumière de la nef
Des bras de lumière à plusieurs globes en forme de flamme du XIXe siècle, appliqués contre les piliers, éclairent la nef. Des bras de lumière à un seul globe éclairent les collatéraux. Dans la nef, leurs appliques portent deux têtes de cerf et un crucifix, en allusion à la conversion miraculeuse de saint Eustache.
L’élévation intérieure de l’église Saint-Eustache
L’élévation de la nef comprend trois niveaux : grandes arcades, triforium et fenêtres hautes. L’arc mouluré des grandes arcades retombe sur les chapiteaux de pilastres à multiples décrochements, sous lesquels se logent des têtes de chérubin. Au-dessus des grandes arcades, le triforium forme un rang d’arcs en plein cintre, séparés par des pilastres ioniques à intervalles réguliers. Enfin, les fenêtres hautes à remplage occupent le dernier niveau de l’élévation.
Dans la nef, les piliers sont constitués d’une colonne à plusieurs bourrelets, qui jaillit jusqu’aux nervures de la voûte. Cette colonne se détache sur des pilastres carrés et des colonnes cannelées, qui se caractérisent par trois ordres d’architecture superposés : dorique, ionique et corinthien.
Un pilier du premier collatéral sud
Les piliers reçoivent une ornementation qui s’inspire à la fois du répertoire décoratif de la Renaissance et l’art gothique. C’est ainsi que, sur chaque pilier, de fines colonnes s’élancent d’un culot à feuillage, appliqués sur une colonne plus importante et de pilastres décorés de figures géométriques et de rosaces. Les pilastres et les colonnes soutiennent par ailleurs un entablement régulier, à corniche saillante et rang de denticules.
Le vitrail de L’Annonciation
Les bras du transept aboutissent à deux portails secondaires, comprenant quatre registres superposés : la baie à trois lancettes, qui surmonte le tambour du portail ; un rang intermédiaire de cinq fenêtres cintrées, le triforium éclairé par de petites fenêtres et la grande rosace.
Dans le bras nord du transept, la baie du premier registre illustre L’Annonciation à Marie par l’archange Gabriel.
Le vitrail de La Nativité
Dans le bras sud, la baie du premier registre illustre La Nativité : on y voit l’Enfant, dans son berceau garni de paille, Joseph, en priant et Marie, sous le regard bienveillant de trois anges.
La Tempérance
De part et d’autres des portails du transept, le peintre Emile Signol (1804-1892) compléta le décor par des peintures murales, comprenant quatre médaillons allégoriques sur fond d’or, qui représentent les Vertus théologales : La Force, La Prudence, La Tempérance et La Justice.
La visite aux prisonniers
Afin de ménager une porte supplémentaire donnant sur la rue Rambuteau, on perça la première chapelle du déambulatoire sud. Cette chapelle avait été, depuis le début du XIVe siècle, le lieu de réunion des marchands fruitiers et orangers, membres de la confrérie de Notre-Dame de la Bonne Délivrance, Saint Christophe et Saint Léonard. Devenue plus tard »chapelle du cardinal de Richelieu », elle renfermait un caveau dans lequel on découvrit, en 1848, les membres de la famille Phelipeaux de La Vrillière. Ses parois sont recouvertes de peintures murales du XIXe siècle, disposées en registres superposés. Elles sont consacrées aux œuvres de Miséricorde : la distribution de pain, la visite aux prisonniers et aux malades, l’accueil du voyageur…
A la fin du XVIIIe siècle, on édifia un portique flanqué de colonnes à l’extérieur de l’édifice, pour signaler l’existence de cette porte secondaire, connue actuellement comme la « Porte de la Miséricorde ».
Le bas-côté extérieur sud longeant les chapelles aménagées contre la façade méridionale de l’église Saint-Eustache
L’église présente la particularité d’être encore gothique dans sa structure (arcs-boutants à l’extérieur, voûtes à nervures), avec un répertoire décoratif inspiré par la Renaissance. Dans toutes les baies, à l’exception des baies de l’abside, le plein cintre s’est substitué à l’ogive.
La chapelle des Saints-Anges
Des chapelles latérales fermées par de petites grilles et éclairées par de hautes et larges fenêtres bordent les bas-côtés extérieurs, au nord et au sud de la nef, ainsi que le déambulatoire contournant le chœur.
Certaines chapelles avaient été recouvertes de peintures murales au XVIIe siècle. L’existence de ces décors était oublié jusqu’à ce que Victor Baltard redécouvrit les peintures des parois latérales de la chapelle des Saints-Anges en 1849. Il dirigeait alors la campagne de restauration de l’église entreprise à la suite d’un incendie qui avait détruit, en 1844, les grands orgues et les trois premières travées de la nef et des bas-côtés.
La peinture du maître-autel de la chapelle des Saints-Anges
La chapelle des Saints-Anges était initialement consacrée à la famille Du Val, qui passa, en 1633, un contrat de décoration avec le peintre Antoine Ricard (1600-1652).
La famille Du Val
Celui-ci représenta Charles Du Val, vêtu d’une armure et d’un grand col de dentelle, avec son fils Claude, en camail et surplis d’ecclésiastique, et en compagnie de ses gendres, représentés en priants. Le registre supérieur montre l’épouse de Charles Du Val, Lucrèce, en prière devant la Vierge qui apparaît sur une nuée, et du Christ, entouré d’anges. Sur la paroi opposée, le peintre a représenté l’archange saint Michel précipitant les anges rebelles en enfer.
La chapelle Sainte-Agnès
Baltard s’inspira du décor de la chapelle des Saints-Anges pour composer le programme décoratif des chapelles latérales, qui comporte d’importantes lacunes mais qui a retrouvé, au sud, tout son lustre.
Les chapelles latérales du déambulatoire et du bas-côté nord
L’état des chapelles latérales du déambulatoire et du bas-côté nord est en revanche désastreux : les murs sont noircis, les peintures rongées par l’humidité. Dans le déambulatoire, les chapelles consacrées à sainte Madeleine et à saint Vincent de Paul sont pourtant décorées de peintures murales du XVIIe siècle.
Les chapelles de Sainte-Agnès et du Sacré-Cœur
Pour l’ensemble des chapelles latérales, l’architecte Baltard proposa de suivre le même dispositif décoratif qu’à la chapelle des Saints-Anges. Il fit ainsi décorer les compartiments des voûtes de chaque chapelle de figures d’anges et de fonds étoilés ou de motifs végétaux ou géométriques. Des peintures décoratives (feuillages, arabesques, entrelacs en or, vermillon ou azur) furent également appliquées pour souligner la modénature.
La chapelle des Saints-Innocents, avec le retable sculpté d’Henri-Joseph de Triqueti, représentant Le Mariage de la Vierge
Il demanda de grandes scènes narratives aux meilleurs peintres d’histoire, pour orner les parois fermant les côtés, et des reliefs d’autel aux sculpteurs les plus en vue. Ces chapelles latérales furent en outre rétablies sous le patronage de leurs fondateurs, dont les blasons avaient été badigeonnés, morcelés ou détruits pendant la Révolution.
Les premières chapelles ouvertes contre la paroi sud, à droite de l’entrée principale, jusqu’au bras sud du transept, ont la particularité d’être fermées par un mur qui s’écarte au fur et à mesure. De ce fait, la première chapelle, consacrée à la Ville de Paris, est très peu profonde, alors que les chapelles suivantes rectifient au fur et à mesure ce défaut de profondeur. En plus d’un nouveau décor, ces chapelles reçoivent une nouvelle affectation : elles sont alors consacrées au Calvaire, à sainte Cécile, patronne des musiciens, aux Saints-Innocents et aux âmes du Purgatoire.
Charles-Philippe Larivière (1798-1876)
Anges, 1855, Paris, église Saint-Eustache, voûte de la chapelle du Sacré-Cœur
Dans la chapelle du Sacré-Cœur, Larivière représenta des angelots dans diverses situations : les uns témoignent adoration et amour au Sacré-Cœur de Jésus couronné d’épines ; deux autres se donnent le baiser de charité ; un autre tient le calice d’amertume ; deux autres enfin portent le texte sacré SICVT DILEXIT ME PATER / EGO DILEXI VOS.
Théophile Vauchelet
Anges, 1855, Paris, église Saint-Eustache, voûte de la chapelle de Sainte-Agnès
Le peintre Vauchelet reprit le même sujet sur la voûte de la chapelle Sainte-Agnès : on y voit des anges portant, avec le nom d’Agnès inscrit sur un phylactère, d’autres, des palmes et des couronnes ou jetant des fleurs.
La chapelle de la Vierge
Restaurée et embellie en 1846, la chapelle de la Vierge, desservie par le double déambulatoire, forme une grande rotonde derrière le chœur. Le maître-autel porte une Vierge à l’Enfant (1748), chef-d’œuvre du sculpteur français Jean-Baptiste Pigalle. Trois grandes peintures occupent le registre inférieur des travées incurvées de la chapelle, en correspondance avec les fenêtres hautes. Ces compositions revinrent au peintre Thomas Couture, après l’abandon d’Ary Scheffer. Elles représentent L’Assomption de la Vierge, La Vierge étoile des marins et La Vierge consolatrice des affligés.
Ferdinand Delamonce (1678-1753)
Tombeau de Jean-Baptiste Colbert, par Le Brun, dessin à la plume et lavis à l’encre de Chine, BNF, Estampes
Des tombeaux remarquables sont encore visibles dans l’église Saint-Eustache, même s’ils ont parfois été démantelés pendant la Révolution et partiellement remontés, comme celui de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683). Deux ans après la mort du grand ministre de Louis XIV, sa veuve, Marie Charron, s’adressa à Charles Le Brun (1619-1690) pour l’invention du mausolée, qui fut placé sous une arcade, à droite de la chapelle de la Vierge. Le Brun représenta le ministre sur un sarcophage de marbre noir, en prière, avec les mains jointes, revêtu du manteau de chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit, sous un arc triomphal portant l’écusson aux armes du défunt (la couleuvre). Un ange (brisé en 1793) tenait un livre ouvert devant l’homme en prière.
Antoine Coysevox et Jean-Baptiste Tuby, d’après Le Brun
Mausolée de Jean-Baptiste Colbert (détail : sarcophage et priant), 1685-1687, marbre et bronze, Paris, église Saint-Eustache, chapelle Saint-Louis-de-Gonzague
Le sarcophage est supporté par deux hautes consoles, appuyées sur des socles au chiffre de Colbert (les lettres entrelacées « JBC »). Brillant spécialiste du portrait sculpté en buste, Antoine Coysevox avait déjà eu l’occasion, en 1677, de saisir le ministre d’après nature. C’est ce premier portrait que le sculpteur retoucha pour la figure du défunt en prière.
Le priant du mausolée de Colbert
Dans ce grand portrait funéraire, Colbert porte la perruque de cour, dont il avait adopté l’usage à la fin de sa vie. Il est vêtu du précieux manteau de cérémonie de l’Ordre du Saint-Esprit.
La signature du sculpteur
Le sculpteur apposa sa signature (« A COYSEVOX ») sur le grand coussin damassé servant d’appui au ministre.
Jean-Baptiste Tuby, d’après Le Brun, La Fidélité, 1685-1687, marbre, Paris, église Saint-Eustache
Antoine Coysevox, d’après Le Brun, La Piété, 1685-1687, marbre, Paris, église Saint-Eustache
Coysevox ne fut pas le seul sculpteur à travailler au tombeau de Colbert. Jean-Baptiste Tuby fut chargé de sculpter l’une des deux allégories accompagnant la figure du défunt : La Fidélité, que Colbert avait choisie comme l’une de ses principales qualités.
Coysevox exécuta l’autre figure allégorique : La Piété, identifiable à la flamme. A la Révolution, le tombeau de Colbert fut démantelé et ses principaux éléments, confisqués, puis exposés au musée des Monuments français. Rendus à l’église Saint-Eustache en 1817, ils furent remontés dans la chapelle Saint-Louis-de-Gonzague, sur le flanc gauche de la chapelle de la Vierge.
Jean-Baptiste Tuby
Portrait de Marin Cureau de La Chambre, présenté par l’Immortalité, après 1669, marbre, Paris, église Saint-Eustache, chapelle Sainte-Anne
Dans la chapelle Sainte-Anne, un haut-relief, sculpté en marbre blanc par Tuby, constitue le remarquable vestige d’un autre mausolée érigé au XVIIe siècle. Ce relief montre l’Immortalité, avec le portrait de Marin Cureau de La Chambre (1594-1669), médecin ordinaire de Louis XIV. Il se détachait sur un fond de marbre noir dans un cadre surmonté de deux vases fumant et d’une urne d’où partaient des guirlandes de cyprès.
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