Alexandre-Jean Noël
La Pointe de l’Île de la Cité, vue du port Saint-Nicolas, seconde moitié du XVIIIème siècle, huile sur toile, 48 x 75 cm, Paris, musée Carnavalet
Lors de la construction de la place Dauphine, trois îlots sont réunis et surélevés pour constituer la pointe ouest de l’île de la Cité : les îles des Passeurs de Vaches et de la Gourdaine, ainsi que l’île aux Juifs. Le lieudit du Vert-Galant ne semble pas avoir été immédiatement constitué. Derrière la figure de Henri IV, les plans de Paris n’indiquent en effet guère qu’une modeste demi-lune jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, certains ne signalant même rien d’autre que la terrasse aménagée pour la statue royale. Certes, des projets d’aménagement sont élaborés, mais ils sont démesurés. L’endroit demeure inoccupé jusqu’à l’installation d’un établissement de bains, qui fonctionne jusqu’en 1836. Un premier jardin est alors planté, en contrebas du Pont-Neuf, dans le prolongement de l’île de la Cité. En 1865, le concert du Vert-Galant s’y implante.
Cette même année, un article de L’Illustration décrit ce nouveau lieu de divertissement :
« Chacun en traversant le Pont-Neuf, a pu voir la joyeuse animation qui y règne depuis quelques mois, du côté surtout de la statue d’Henri IV, endroit pourtant autrefois sombre et bien désert.
Café-Concert du Vert-Galant, au pied du terre-plein du Pont-Neuf
Il fait nuit, le pont est rempli de curieux ; quelle en est donc la cause ? Regardez : le terre-plein est illuminé ; de charmants massifs de verdure y sont adroitement disposés ; de plus, d’harmonieux sons parviennent jusqu’à vous. D’où sortent-ils ? Regardez encore tout au fond, n’percevez-vous pas un petit théâtre en plein vent, aussi mignon que coquet. C’est le Café-Concert du Vert-Galant.
Ne dirait-on pas qu’une fée a présidé avec sa baguette magique à l’installation de ce charmant petit théâtre, qui semble élevé là comme par enchantement ?
Cette fée, c’est un homme intelligent qui s’est dit : Voilà un emplacement inoccupé, un lieu désert, au milieu de Paris, au milieu d’un fleuve, ne pourrait-on l’utiliser ?
Tout Parisien, en été, recherche, quand vient le soir, et l’air et la fraîcheur ; pourquoi aller chercher quelquefois bien loin ce que nous pourrions avoir si près ? Il a demandé l’autorisation d’y fonder un Café-Concert, il l’a obtenue, et quelques jours après, ouvriers et artistes étaient à l’œuvre ; et voilà comment cet endroit, autrefois triste, est maintenant si vivant et si gai.
Grâce à sa position exceptionnelle, cet établissement est, par ces jours de chaleur sénégalienne, le lieu le plus charmant que l’on puisse désirer. On y a laissé subsister ces grands peupliers et ces saules pleureurs que tout Paris connaît : le bruissement de leur feuillage, se joignant au mugissement de l’eau, vient se mêler harmonieusement aux mélodies d’un excellent orchestre, habilement dirigé surtout par un jeune artiste, M. Girin.
Que de souvenirs se rattachent à notre vieux Pont-Neuf : discours de bonne aventure, escamoteurs, tondeurs de chiens et paillasses, où êtes-vous ? Tabarin et Gautier-Garguille, Bobèche et Galimafré, qu’êtes-vous devenus ?
De la vieille Samaritaine
On n’entend plus les carillons
Mais les naïades de la Seine
Prêtent l’oreille aux flonflons
Tout se transforme avec le temps : les sales et étroites rues font place à de splendides et vastes boulevards. Le Café-Concert du Vert-Galant, avec son féérique théâtre et ses charmants bosquets, a remplacé les tréteaux des paillasses et des saltimbanques.
Sur le pont d’Henri IV
Allez, gais Parisiens
A l’envi, vous ébattre
Au son de leurs refrains
Le Café-Concert est une agréable distraction ; je l’aime surtout parce qu’elle est populaire, c’est-à-dire à la portée de toutes les bourses.
Sachons donc gré au directeur du Vert-Galant d’avoir eu une aussi excellente idée, et surtout de l’avoir si intelligemment mise à exécution. »
(R. Prudent, « Café-concert du Vert-Galant, au Pont-Neuf », L’Illustration, vol. 46, n° 1175, 2 septembre 1865, p. 160)
Dans un premier temps, l’accès au café-concert du Vert-Galant ne semble pas avoir convenablement été aménagé. En 1867, la revue fondée par Marcelin, La Vie parisienne, signale en effet avec humour à ses lecteurs : « il sera prudent d’attendre que le propriétaire de ce cabaret lyrique-aquatique ait fait une entrée à son établissement, car, jusqu’à présent, il n’y a guère d’autre moyen d’y pénétrer que de se jeter du haut du Pont-Neuf dans la salle. » L’existence de cet établissement de divertissement fut brève, puisqu’une inondation le détruit entièrement en 1879.
La pointe de l’Île de la Cité, le square du Vert-Galant, l’entrée de la place Dauphine et le Pont-Neuf, avec les tours de la cathédrale de Notre-Dame de Paris, vus depuis les toits du Louvre
Le square du Vert-Galant sur la pointe de l’Île de la Cité, le Pont-Neuf et le quai des Orfèvres
En 1884, l’État cède le Vert-Galant à la Ville de Paris pour un franc symbolique. Le square aménagé sur son emplacement, ceint d’une clôture à la manière des squares parisiens, est planté d’arbres, qui se dressent autour des allées et des parterres de gazon. Un saule pleureur occupe l’extrémité de la pointe, au-delà du square. Depuis les quais en bordure de Seine, le promeneur peut contempler l’un des plus beaux points de vue sur Paris.